Entretien exclusif avec le Professeur Mamadou Ndiaye, médiateur de l'Ucad


 Professeur Mamadou Ndiaye, médiateur de l'université Cheikh  Anta Diop de Dakar

«Je Suis le maire de l'université, qui gère plus de 100 000 conflits au quotidien»

Professeur titulaire, au département de Linguistique et de Science du langage de l'Ucad, où il enseigne,  depuis plus de trois décennies, Mamadou Ndiaye est médiateur de ladite Université depuis 2011. Dans cet entretien, il analyse avec lucidité et réalisme les crises universitaires: le bras de fer entre le Saes et le ministre de tutelle ; son rôle de médiateur, la lancinante question des bourses des étudiants, les reformes …tout en proposant  des solutions, quitte à ne pas ménager les autorités. 

Professeur, pouvez-vous nous rappeler, le rôle du médiateur de l'université?

(Il réfléchit) Alors le médiateur, c'est un peu comme, le maire d'une ville, d'un peu plus de 100 000 habitants.  Mais la différence est que, le maire que l'on connaît, il s'occupe d'état civil principalement, et moi, le maire que je suis, je m'occupe essentiellement de conflits (il se répète), mais de conflit dignes de  100.000 conflits quotidiennement. C'est ça la différence. Parce que, si on voit les trois composantes qu'il y a ici. La composante étudiante, cette année, on va un peu dépasser les 100 000. La composante enseignants-chercheurs avoisinant 1500. De même que la composante personnel administratif, technique et de service. Ça fait plus de 100 000. Comme je l'ai dit, chacun vient avec ses problèmes. Chacune de ces composantes a des problèmes spécifiques. Je suis quotidiennement sollicité, pour résoudre des problèmes ; quelques fois, qui ne relèvent même pas de mon cahier de charge. C'est le cas des orientations (de nouveaux bacheliers : NDLR) qui me prennent beaucoup  de temps. Le médiateur ne s'occupe pas d'orientations, mais comme le médiateur travaille à ce qu'il y ait la paix dans cet espace ; donc tous les problèmes susceptibles de créer de conflits, de tentions, je me vois obligé d’intervenir. Essayer d'anticiper et de trouver des solutions ou au moins, de mettre les parties concernées ; autour d'une table ou à défaut, de donner d'explications.  Parce que souvent on a constaté, qu’il y a un problème de communication et d'information. Quelqu'un qui vient d'arriver à l'université, parfois même, c'est la première qu'il arrive à Dakar, il a besoin d'être accompagné, guidé, informé. Peut-être, certains peuvent considérer ça comme de détails, mais lui, c’est important, notamment ce qu'il faut faire pour s'inscrire.  Ici les gens confondent  campus social, pédagogique.  Tous ces détails élémentaires pour nous, sont non négligeables pour lui. Et le problème du sénégalais, si vous lui demander, même s'il ne connaît pas ; il ne dit pas qu'il ne connaît pas, il vous fait tournoyer, toute une journée. 

 Vous  dites être le maire de l'université, est ce que ce n'est pas une diplomatie parallèle, quand le recteur aussi a les mêmes fonctions? 

 Non (il se répète), le médiateur en réalité, son rôle, c'est de prévenir les conflits. Si le conflit est là, c'est d'essayer d'amener les deux parties autour d'une table. Et à partir de ce moment, le rôle du médiateur, c'est fini. Mais il se trouve que le recteur lui-même, peut avoir des problèmes avec le ministère ; et en ce moment c'est le médiateur qui va essayer de rapprocher les deux parties ; pour faciliter les choses. Donc le recteur, a son travail spécifique, celui de s'occuper du fonctionnement de l'institution.  Nous, c'est à l'intérieur de celle-ci, les conflits qui peuvent arriver ci est là, que nous nous occupons, c'est ça la différence.
 
Il y a un bras de fer, qui oppose le Saes et le ministre de tutelle, sur l’autonomie des enseignants.  En tant que médiateur, quel rôle pouvez-vous jouer pour la résolution de cette crise?

 (Sourire) Là, je ne serai pas long sur cette question. Dans la mesure où, je suis en train de travailler là-dessus. Et généralement l'une des qualités du médiateur, c'est la discrétion. C'est un travail de sous-terrain qui se fait. C'est quand le médiateur réussi à rapprocher les positions qu'il s'efface, et d'autres occupent l'espace (radio et télévision...). Mais à mon niveau, depuis hier, je suis en train de travailler sur ce dossier.
 Etes-vous optimiste, pour l'issue des négociations?
Oui! Dans la mesure où, les positions étaient figées au départ, mais avec le temps, j'ai constaté que de deux côtés, les positions fléchissent.  Les leaders du Saes, ont fait une déclaration hier. Mais, j'ai vu que leur discours est devenu plus favorable. En gros, ils disent qu'ils n'ont jamais fermé la porte et ils sont prêts à écouter les gens. De l'autre côté, on dit aussi que nous, on a toujours été ouverts, on a toujours écouté les gens.
Mais, on ne peut pas négocier quand les gens sont en grève. Qu'ils arrêtent et qu’on continue les négociations pour trouver un terrain d'entente.  Dans toute négociation, il faut faire de compromis en lâchant du l'est. Le point d'achoppement, c'est les membres du conseil d'administration.  Si ceux de l'extérieur de l'université sont plus nombreux que les membres du Saes. Ils emporteront à chaque décision. Et les professeurs perdront de leur autonomie. Alors, si c'est ça qui se pose, il n y a qu'à demander au ministère, pour équilibrer, ou soit même, de mettre plus des agents universitaires que ceux de l'extérieur.  C'est tout, ce n’est pas compliqué.
On constate, un calme relatif au campus de l'université, est- ce dire qu'on a tiré les leçons du passé?
(Il réfléchit) Non. La tension n'est pas retombée d'elle- même ... nous sommes tous conscients que (il ne termine pas la phrase). C'est vrai, la police était là, elle servait un peu de dissuasion quelque part. Même si, effectivement en mettant les policiers devant les étudiants, c'était source de tensions.  Mais, l'un dans l'autre, ils dissuadaient toutes velléités. On a vu ce qui s'est passé, on a réclamé leur départ. Si la police se retire, on est plus que face à nous même. Nous aussi, on a pris les devants. A notre niveau, on a fait en sorte que, ceux-là qui s'agitaient, qu'on les écoute, en recueillant leur propositions pour les accompagner. C'est pour cela, qu'il y a ce calme relatif. Cette année, on est allé voir les autorités pour leur dire, qu'on a constaté souvent, c'est l'histoire des bourses qui amenaient les problèmes, pour qu'on puisse les payer à temps. Et Dieu merci, jusqu'à présent les bourses sont payées à temps. Jusqu'à présent, vous n'avez pas entendu que les gens ont barré la route de Ouakam, arrêter un bus et y ont mis le feu. Parce que les bourses sont en train d'être payées. Autre chose, on a quand même sensibilisé, les gens qui s'agitaient et finalement ils ont compris qu'ils sont là, pour étudier et que le temps passe vite. Je crois qu'il y a, une espèce de prise de conscience. En nous disant qu'on a fait cinq, sept ans ici, il faut faire quelque chose pour nous. Pour particulièrement ceux qu'on appelait les éléments du "Master pour tous". C’est par ce qu'on leur a dit, organisez-vous, on ne peut prendre tout le monde cette année ;  On prend un groupe, on le met dans le privé pour une formation professionnelle et (hésitation) ça marche, maintenant ça sert en même temps de test.
Nous faisons cela pour étouffer toutes velléités de déstabilisation. C'est pourquoi, il y a ce calme relatif.
En faisant cela, est ce que ne pas encourager l'amateurisme et la médiocrité a l’Université?
Effectivement! Nous sommes conscients que cela ne suffit pas. Mais, c'est déjà un début. Alors, on pense que le problème, c'est quand on a la licence, on veut continuer pour faire le Master. Normalement, on n’a pas le droit de l'en empêcher, mais il y a des préalables, il faudrait qu'un enseignant accepte de l'encadrer. Au niveau du Master, il faut impérativement un encadreur. Il y a le fait que tous les enseignants n'encadrent pas. Il faut des  professeurs de rang A. Dans certains département, on en a qu’un ou deux. Et s'il y a cent demandes, un seul ne peut même pas encadrer cinquante. Il est obligé de sélectionner cinq ou six... maintenant l'Etat doit songer à créer d'autres filières, ce n'est pas encore le cas. Souvent, on applique des reformes sans les mesures d'accompagnement. Ce qui pose le problème de son applicabilité. Mais on se dit que c'est le début.
Quel est le nombre de ces étudiants grévistes, casés dans le privé aujourd’hui?
Ils ne sont pas nombreux, plutôt une cinquantaine.  
Récemment on a lancé, la construction d'une nouvelle Université, Unidak2 à Diamniadio. Pensez-vous que cela puisse impacter positivement sur le surnombre  à l'Ucad?
 (Il hésite) Moi, je me méfie toujours de pose de première pierre ; parce que, j'ai assisté ici à de pose de première pierre, mais à la longue on avait du mal, à même trouver là où, on avait fait cette pose, vu la durée que ça prenait. Mais avec cette université, on a dit qu'en moins de deux ans, fin 2016, Les travaux seront achevés. Bon, j'étais là-bas lors du lancement des travaux. Le président a pris à témoin, et a dit à l'entrepreneur, je veux la livraison de choses à telle date. A partir de ce moment-là, il n'y a pas de raison de ne pas y croire. Alors maintenant au cas échéant, pour moi, avec l'enseignement de nouvelles filières là-bas, ça ne règle pas encore le problème des effectifs à l'Ucad. Peut-être avec le flux de nouveaux bacheliers, ça va permettre à ceux-là de ne pas venir à l'Ucad. Mais le problème ; ce que déjà ici, c’est saturé, et comment enlever cette saturation, ce n'est pas en bloquant le flux, mais c'est comment régler, pour les gens qui sont déjà là. Imaginez, une université qui était conçue pour 6000 étudiants, on est plus de 100 000 aujourd'hui. C'est ça le problème.       
       Ça va régler le problème de nouveaux bacheliers, qui seront orientés là-bas. Ici, continue à s'asseoir dehors, sur des briques, où est l'impact dans ça?
Vous-même, vous dites que le nœud cordion, chez les étudiants, ce sont  les  bourses. Et ce qu'en octroyant le maximum de bourses, aux étudiants et en les payant à temps, on règle les choses?
Non, (il se répète) le problème de bourses, en réalité partout dans le monde, la bourse, c'est pour les études, mais comme nous sommes dans un pays pauvre. Les gens se servent de la bourse, à d'autres fins. C'est rare de voir un étudiant, percevoir sa bourse et d'aller rapidement à la librairie acheter des livres. Non, généralement, il achète de quoi manger, ou bien il envoie à ses parents acheter de quoi manger, c'est tout. Les livres et consorts, viennent après. Donc c'est fauché dès le départ. Sans faire référence à l'ancien régime (celui d'Abdoulaye Wade), qui a beaucoup misé sur le social. On a souvent entendu l'ex président Wade dire, qu'il est le seul  chef-d’ Etat, au monde  à donner de bourses, à tous ses étudiants.  Alors maintenant, ça vaut ce que ça vaut. Les bourses nationales font plus de 40 milliards de FCFA, et plus de 9 milliards pour les bourses étrangères. C'est donc approximativement 50 milliards, pour un pays qui n'a ni pétrole ni rien, qui n'a que ses impôts et ressources humaines. Donc c'est lourd, raison pour laquelle, avec l'avènement de nouveau régime, il a voulu s'attaquer à ça, mais il y a eu la réaction.  Partout on sait que les acquis, on ne peut pas les enlever comme ça. On est obligé de faire avec. Heureusement avec l'audit, le Ministère a décelé des irrégularités. Il y a eu  35 000 étudiants qui percevaient indûment de bourses. C'est beaucoup, on a évalué à des milliards. C'est ça, qui fait que l'opinion est avec lui, car on pense qu'il est en train d'assainir. Mais je crois que la bourse, c'est mieux que rien, mais elle ne règle pas grand- chose. Une somme de 36000 pour la bourse entière pour ceux qui en bénéficient, et ils ne sont pas aussi nombreux, le reste c'est 18000.
Des états généraux de l’enseignement supérieur, ont été tenus au deuxième semestre de 2014. Pensez-vous que les vrais problèmes, ont été débattus et les solutions ont été trouvées?
Les assises pour l'éducation! Alors, c'est toujours une bonne chose, à un moment donné, de s'asseoir entre tous ceux qui s'intéressent à l'école sénégalaise, pour échanger d'idées. On a eu des assises comme ça en 1981, donc c'est toujours bon d'échanger, de réfléchir, de dégager de pistes d'orientations. Mais, une chose est de débattre, une autre, c'est d'appliquer les décisions prises. Je sais que le ministre s'est engagé à appliquer les mesures, il a même commencé. Donc, on connaît les maux, les gens ont même les solutions pour soigner. Il y a une chose que peut être le sénégalais moyen ne sait pas. Il ne faut pas oublier que le gouvernement signe des accords avec la Banque mondiale et le Fmi, mais ces gens là pour donner de l'argent, ils posent de conditions ; Souvent qui vont à l'encontre des populations sénégalaises. Mais, c'est des choses qu'on ne dit pas, mais qui sont réelles. C'est à cause de cela qu’on a des difficultés à appliquer les mesures, ce n'est pas que les autorités ignorent les maux. Ils sont sous le diktat des institutions financières mondiales.
 Est-ce que, ce n’est  pas pessimiste, ce que vous dites?
Non. Ce n’est pas du pessimisme, moi je suis optimiste. J'ai confiance en nous même. Je veux dire qu'on se débat... mais la question de la transparence ; elle est là. Maintenant avec les réformes il faut y aller tout doucement. Souvent si vous voulez enlevez toutes ces habitudes, en un laps de temps, c'est difficile.

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